Histoire des murs à pêches
Sur le plateau du haut Montreuil, dissimulés entre les rues de la Nouvelle France, de Rosny, Pierre de Montreuil ou Saint-Antoine, se trouvent une trentaine d'hectares de jardins cachés, des longues parcelles orientées les plus souvent nord-sud et enfermées dans de hauts murs blanchâtres. C'est le cœur de ce qui reste des fameux Murs à pêches, lieu, outil de travail et symbole de l'horticulture montreuilloise, fierté multiséculaire de l'arboriculture française.
Coiffés d'un large chaperon et hauts de presque trois mètres, les murs à pêches sont faits de moellons, de terre et de plâtre... Ils protègent les cultures des intempéries et gardent la chaleur du soleil, permettant de produire à Paris certaines cultures méridionales, dont la plus prisée, celle du pêcher. Les arbres sont élevés à plat le long des murs, ce qui parmi autres avantages facilite les soins comme la cueillette, en fixant les branches avec des morceaux de tissus cloués dans le crépi, ce qu'on appelle le palissage à la loque. La technique du palissage (pas sur mur mais en champ) deviendra même, au XXe siècle, le modèle de la production fruitière dans le monde entier. À leur apogée, dans la seconde moitié du XIXe siècle, les murs à pêches couvrent plus d'un tiers de la ville, soit 320 hectares pour plus de 300 km de murs et environ 600 km de linéaires en exploitation et débordent largement sur les villes de Rosny, Romainville, Bagnolet, Fontenay...
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Le plateau de l'Est parisien est particulièrement favorable en raison de son exposition et de ses gisements de gypse fournissant à bas prix le plâtre pour murer les « clos à pêches
Les exploitants viennent en grande partie des départements bourguignons, et plus particulièrement de l’Yonne. De la main d’œuvre locale afflue des villages avoisinants (Romainville, Bagnolet...), les paysans de Montreuil cultivant également des parcelles jusqu'à la plaine au nord du Plateau (Bondy...). Certains travailleurs s'installent durablement dans les murs à pêches, en louant ou en rachetant des parcelles au prix de durs sacrifices, au fil des siècles l' « aristocratie » paysanne montreuilloise s'enrichit ainsi de nouvelles familles.
Les paysans, dont certaines parcelles ont vue sur la capitale, vendent directement sur les marchés, notamment les Halles de Paris, où un quartier leur est réservé, puis, à partir de son ouverture en 1760, aussi au marché d'Aligre, plus proche. Un détail non négligeable puisque jusqu'au XIXe siècle, faute de routes carrossables, les paysannes – la vente est une activité essentiellement féminine – portent leurs paniers à la main ou sur la tête.
La construction des murs à pêches dynamise voire fait naître l’exploitation des plâtrières et carrières de gypse (les plus importantes étant sur les sites des actuels parcs des Guilands – les « Buttes à Morel », du nom du propriétaire – et des Beaumonts), et participe à ce titre à la naissance des premières implantations industrielles sur la commune.
Les « gens de Montreuil » adaptent et renouvellent constamment leur savoir-faire et leur production en fonction du marché, en alliant technique agricole et esprit commercial. Ils sélectionnent de nouvelles variétés et valorisent sans cesse leur production : emballages soignés, ensachage et marquage des fruits, création de nouvelles variétés hâtives ou tardives... Progressivement, ils participent avec un énorme succès aux grands concours internationaux et organisent leur propre exposition sur la place de la mairie, ils se dotent aussi de plusieurs structures collectives aux fins les plus variés [http://srhm.fr/organisme.htm]. Fondée en 1878 la Société régionale d'horticulture de Montreuil est toujours en activité et gère notamment le Musée horticole et le Jardin-école.
La dernière partie du XIXe marque l'apogée de la culture fruitière. Les luxueux produits montreuillois s'exportent bien, des séries spéciales marquées aux effigies des différents souverains se retrouvent même aux cours de Londres, de Berlin et jusqu'à la table du tsar de Russie.
Importée par rail depuis le Midi, la pêche cède le mur à la poire et surtout à la pomme... Au cours du XX siècle les revenus des agriculteurs dépendront de plus en plus de la floriculture. Si près de Paris, les clos à pêches subissent la pression croissante du l'industrialisation et du foncier, alors que, déjà dans les années 1930, l'augmentation du prix du plâtre et de la main d’œuvre rendent l'entretien des murs plus difficile...
Quelques-uns des cultivateurs occupent des rôles publics importants au sein des différentes municipalités de 1790 à 1935 (Pierre Pépin et Claude Mainguet - premiers maires de la ville à la Révolution, Léon Loiseau, Arsène Chéreau, Ernest Savart...).
En 1935, dans la « vague rouge » qui emporte la petite ceinture parisienne, Montreuil élit son premier maire issu du monde ouvrier, le communiste Fernand Soupé.
Le 17 septembre 1939, moins de trois semaines après le début de la seconde guerre mondiale, l'URSS – encore alliée de l'Allemagne nazie – envahit à son tour la Pologne, alliée et protégée de la France. En France, le PCF – soutien de l'URSS – est interdit et les municipalités communistes dissoutes. Pour administrer les affaires courantes, le pouvoir central institue des « délégations spéciales » composées de notables. Parmi eux, à Montreuil, est nommé Luis Aubin, président de la Société régionale d'horticulture, un ardent défenseur des murs à pêches. Pendant la collaboration, alors que le régime de Vichy proclame son attachement à l'agriculture et aux traditions (et que Paris manque de nourriture à cause de la guerre) Louis Aubin obtient le premier classement des murs à pêches, sans lequel ils auraient fort probablement disparu.
Il faut attendre les années 1970 et 1990 et les conséquences des politiques d’aménagement du territoire communal, pour que des associations défendent la première fois une partie du terrain des murs à pêches menacée par le tracé du prolongement de l’autoroute A86 vers Fontenay, puis par le projet d’une zone d’aménagement concerté (ZAC). Les deux projets sont rediscutés et redessinés afin de prendre en compte du moins partiellement le souci patrimonial, cependant des dizaines d'hectares de clos sont sacrifiés pour la vaste ZAC d'activités le long de la rue de Rosny et l'A186, « la bretelle de Fontenay », qui coupe le secteur des murs à pêches jusqu'au Parc Montreau.
Mais c'est le transfert des marchés parisiens des Halles tout proche à Rungis qui désorganise définitivement un système économique déjà fragilisé et extrêmement dur pour ses travailleurs. Plusieurs producteurs restent malgré tout en activité au moins jusqu'aux années 1980.
Déjà très présentes sur la commune, à partir de la fin des années 1980, des populations tziganes trouvent un refuge précaire dans le périmètre des murs à pêches, au prix de conditions d'existence extrêmement préjudiciables pour elles-mêmes mais aussi pour les clos.
À la fin des années 90, certaines associations demandent à la ministre de l'environnement de Lionel Jospin, Dominique Voynet, de les aider à protéger les murs. Le dossier aboutit sous le gouvernement suivant avec le classement, en 2003, de 8,5 hectares au titre de paysage urbain sur les 15 initialement prévus. Pourtant, faute d'action des pouvoirs publics locaux de l'époque, la dégradation se poursuit, avec un risque majeur, souligné par certaines associations : si le paysage, non entretenu, se dégrade « spontanément », le classement lui-même deviendrait caduc.
Aujourd'hui, quelques jardins sont toujours cultivés par des familles ou des associations, d'autres sont gérés comme des lieux culturels ou associatifs, l'ensemble est très dégradé, gagné ou menacé par les friches.
Les murs à pêches en images
Le passé horticole de Montreuil
Les horticulteurs et arboriculteurs de Montreuil ont légué à la ville sa structure parcellaire en la recouvrant presque entièrement de murs agricoles, à partir du XVIIe siècle, pour couvrir en 1907 près de 300 hectares sur les 900 que compte la ville. À cette époque, la ville était encore largement agricole puisque plus de 700 hectares y étaient consacrés à l’agriculture, dont la production fruitière était la production phare.
Le savoir-faire des "Montreuil" (qui cultivaient aussi à Bagnolet, Fontenay et Rosny) a fait connaître leurs fruits sur les plus grandes tables d’Europe et a permis la création de nouvelles variétés de pêches, de fraises et de cerises. Ils ont aussi élaboré des techniques arboricoles encore utilisées ou redécouvertes aujourd’hui.
Les "Montreuil" ont su tirer partie de leur environnement : leur positionnement géographique proche des marchés parisiens, les carrières de gypse de Montreuil qui ont fourni le plâtre pour réchauffer et protéger leurs fruits à l’abri des murs, l’utilisation du moindre espace pour compenser par l’imagination le peu de surface disponible. Les fruits étaient palissés le long des murs et en partie centrale de parcelle laissant ainsi de l’espace pour la production de fleurs de coupe, de plantes médicinales ou de petit maraîchage au sol. La Société Régionale d’Horticulture de Montreuil transmet le savoir-faire des horticulteurs montreuillois.
Qui a inventé les Murs à pêches?
Une paternité disputée entre Montreuil la paysanne et Versailles l'aristocrate
Déjà en 1612, un manuel de jardinage (François Gentil, dit frère), Le jardinier solitaire, ou dialogues entre un curieux et un jardinier solitaire. (Paris,1612) conseille d'utiliser la technique du palissage sur mur afin d'obtenir des pêches en région Parisienne, bien qu'il s'agisse encore de palissage sur treillages.
C'est le responsable du Potager de Louis XIV à Versailles, Jean de la Quintinie, qui explique, à la deuxième moitié du XVIIe siècle, comment le plâtre facilite tant la construction des murs que le palissage des branches... et il fait entourer de murs plâtrés plusieurs de ses jardins carrés versaillais. Selon la tradition, c'est l'un de ses amis, le mousquetaire de la Reine Réné-Claude Girardot qui introduit la technique des murs à pêches dans le terroir de Montreuil... à partir de sa propriété de Bagnolet !
Mais un fervent chantre du Montreuil horticole, l'abbé janséniste Jean-Roger Schabol, soutient dès les années 1760 que « l'invention » des murs à pêches est due à une tradition locale enfouie, et attribue un rôle clé à l'un des jardiniers de la Quintinie, le montreuillois Nicolas Pépin, membre éminent d'une longue dynastie de cultivateurs.